Qu’est-ce qui vous a rendu si heureux en vacances ? Réfléchissez quelques instants à cette question. Bien sûr, en vacances, vous n’aviez plus de contraintes professionnelles, et très peu de contraintes sociales. Vous vous leviez et vous couchiez comme ça vous chantait. Vous traîniez des heures à table. Vous vous habilliez avec le minimum : un tee-shirt (parfois même pas), un short, des tongs. Vous vous sentiez légers. Oui, légers, à tous points de vue. Et cela vous mettait de bonne humeur.
Et puis vous êtes rentrés. Les meilleures choses ont une fin. On reprend vite ses habitudes de l’année. Contraintes horaires, contraintes vestimentaires. On saute le petit déjeuner, on déjeune sur le pouce, on dîne en coup de vent. La routine et la déprime s’installent ensemble chez vous !
Pendant les vacances vous avez vécu dans un grand dénuement
Pourquoi étiez-vous si heureux en vacances et pourquoi êtes-vous maintenant si déprimés ? Il y a bien sûr toutes les contraintes qui pèsent maintenant sur vous, mais surtout, à mon avis, la grande différence, c’est que pendant les vacances, vous avez vécu dans un grand dénuement. Vous avez emporté le minimum de vêtements et d’objets. Pas plus que le coffre de votre voiture ne pouvait en contenir, ou que la SNCF ou votre compagnie aérienne ne pouvait en accepter. Bref, vous vous êtes allégé. Au pire, si vous avez oublié un chapeau, vous en avez acheté un à la petite boutique de la plage. Et vous avez très bien vécu pendant une semaine, quinze jours, un mois, deux mois... avec ce strict minimum. Une petite lessive de temps en temps, et hop ! le tour est joué !
En poussant la porte de chez vous, vous avez ressenti soudain un poids énorme sur vos épaules. Seulement le stress de la rentrée ? Je n’en suis pas si sûr. Ma conviction est que vous avez vécu « light », comme dit l’agro-alimentaire, et vous avez soudain retrouvé votre lieu de vie encombré d’objets, de meubles, de disques, de DVD, de jouets — et des placards pleins à craquer.
Pendant vos vacances, vous venez de faire l’expérience de la simplicité volontaire ! Une expérience unique, qui, à mon avis, a été pour beaucoup dans le bien-être que vous avez ressenti tout au long de ces journées où les moments passés avec les autres, les activités au contact de la nature, les découvertes de lieux, de trésors architecturaux, etc. ont remplacé la contemplation de vos placards. Vous êtes passé, l’espace d’un moment de vacances, de l’avoir à l’être. Et cette métamorphose vous a fait le plus grand bien, cela se voit sur votre visage !
Alors, cette vie simple que vous avez attendue avec impatience pendant des mois, pourquoi ne pas la mener toute l’année ? Vous avez compris que vous pouvez vivre heureux avec un minimum autour de vous, et sur vous. Bien sûr, il y a quelques objets très familiers qui vous ont manqué, et ont manqué à vos enfants, et que vous avez tous retrouvés avec un grand plaisir. Ceux-là méritent d’être conservés, mais les autres, tous les autres, vous ont-ils manqué en vacances ? Y avez-vous même pensé une fraction de seconde ? Non. Ils n’étaient pas là, et ils n’ont pas gâché vos vacances.
C’est vrai, faire simple, c’est compliqué
Il existe une abondante littérature consacrée à la simplicité. Preuve que ce n’est pas une attitude spontanée ! Les ouvrages fourmillent d’astuces pour désencombrer son vécu. Personnellement, dans une période de ma vie où je souhaitais changer de peau, passer à autre chose, j’ai mené une grande opération « sac poubelle » que je relate dans mon récit « Ces vies dont nous sommes faits ». Tout y est passé : vêtements, livres, photographies, films, meubles, vaisselle, etc, etc. Je voulais que toute ma vie tienne dans une petite valise. Juste les deux ou trois choses les plus importantes à mes yeux. Ce fut, au sens figuré, un joyeux « feu de joie ». Quelle liberté ensuite ! Et puis j’ai mené une autre vie, et la tentation a été forte d’accumuler de nouveau. Mais j’ai adopté quelques principes simples. Si une chose entre chez moi, une autre doit sortir. Ainsi, j’adore les cravates et je suis souvent tenté de m’en offrir une qui me plaît. Je ne me culpabilise pas en me disant « Nan ! Christian, tu ne vas pas ENCORE acheter une cravate ! ». Je l’achète et je l’installe sur un porte-cravates qui comporte un nombre limité de positions. Donc, je regarde mes anciennes cravates et je jette celle que je n’ai pas mise depuis des années. Et je procède ainsi pour tout. Je m’achète une veste, j’en jette une ancienne immédiatement. Idem pour la vaisselle, les livres, les objets. Mon stock d’objets reste ainsi constant. Je participe à la société de consommation, sans être écrasé sous le matériel.
Car telle est bien notre difficulté au quotidien. Nous pouvons tous, les uns et les autres, vivre avec très peu de choses. Nous venons d’en faire l’expérience en vacances. Mais notre société nous pousse constamment à la consommation. Nous savons que notre système économique est aberrant, qu’il va à l’encontre de notre survie sur Terre à long terme. Mais personne ne siffle la fin de partie. Alors, nous consommons. Et si nous en sommes arrivés là, ce n’est pas sous la torture. Peut-être un peu à cause de la dictature de la publicité, mais beaucoup parce que l’être humain est venu faire sur terre l’expérience du matériel. Nous nous sommes incarnés sur cette planète sympathique pour nous gaver de chair et d’objets. C’est donc très compliqué de ne pas céder à cet objectif que nous nous sommes assigné en naissant.
La dématérialisation de la société est dangereuse pour l’homme
J’entends souvent dire que l’homme est trop dans le matériel. Mais la matière est aussi pour lui une planche de salut. Si notre société va mal aujourd’hui, c’est bien parce qu’elle l’a oublié. On se souvient de la crise terrible qui a frappé le monde informatique en 2000. Les valeurs de certaines « start-up » prometteuses n’avaient aucun fondement matériel. De pures potentialités appréciées « à la louche » par des acteurs économiques déjantés. Résultat, la bulle informatique a fait « pschitt ».
Nous vivons aujourd’hui une nouvelle dématérialisation plus dangereuse encore, celle de nos relations humaines. Nous pouvons désormais mener une vie sociale très active sans quitter son écran d’ordinateur dans la solitude glacée de son appartement.
Plus que la mondialisation, la numérisation du monde est un péril pour l’homme. On croit s’alléger du matériel, on ne fait que perdre le sens des réalités.
L’homme est fait de chair et d’os. Il a besoin d’humains réels et d’objets réels. Paradoxalement, notre époque s’éloigne trop du concret, du vrai. Nous vivons à l’ère du virtuel et du toc. C’est une contradiction supplémentaire qui nous déboussole. Et pour peu que nous souhaitions nous engager dans une voie spirituelle, tout se complique davantage encore. Nous le savons, les grands mystiques vivent dans le dénuement : parfois juste un tonneau, un trou dans une caverne, une tente dans le désert, une cellule dans un monastère avec un pauvre lit, une pauvre armoire, une pauvre table et une pauvre chaise. Est-il alors possible, lorsque l’on vit et travaille dans une grande ville d’aujourd’hui, de mener une démarche spirituelle ? Certains pensent que non et retournent vivre... justement là où ils ont passé de merveilleux moments pendant leurs vacances...! Mais d’autres n’ont ni cette liberté ni cette envie.
Remettre les choses à leur place
Entre un renoncement total au matériel et une accumulation frénétique « d’avoirs plein nos armoires » comme le chante Alain Souchon, quel est le salut ? Sans doute faut-il commencer par se débarrasser de tout ce qui est inutile, toxique, dépassé — en nous, dans nos relations, dans notre environnement matériel. C’est une première étape nécessaire et pas trop difficile à gérer. Et le résultat de ce grand « vide-grenier » est toujours très satisfaisant. Pas seulement parce que nous avons « allégé notre monture », mais surtout parce que nous avons manifesté notre liberté par rapport aux objets. Le mot est laché : liberté.
Je vous invite à un petit exercice de méditation
Regardez les objets familiers qui vous entourent et pour chacun d’entre eux, analysez ce qu’il est en lui-même — sa matière, sa forme, sa couleur, son utilité — et ensuite prenez conscience de la façon dont vous le percevez : toutes les émotions, toutes les attentes, tous les souvenirs que vous avez projetés sur lui. Et efforcez-vous ensuite de ne plus le regarder autrement que comme un chose inerte, utile... ou pas, débarrassée de toutes vos projections. Car, en fait, vous n’êtes pas attaché à l’objet en lui-même mais aux petits bouts de vous que vous avez scotchés sur lui.
Notre société ne souffre pas de trop de matériel, car l’homme, je le redis, est venu sur Terre pour en faire l’expérience ; elle souffre d’en être devenue l’esclave. Comme l’argent, les objets sont de mauvais maîtres et de bons serviteurs. La démarche spirituelle au quotidien — passée une phase de déstockage salutaire — n’est pas de renoncer au matériel, mais de le remettre à sa place. De ne plus subir les convoitises qu’on veut lui associer, de ne plus vivre dans la dépendance de ces objets, de ne plus en faire nos « béquilles » morales, affectives, nos signes extérieurs de réussite. Bref, les vider de toute signification. En quelque sorte, les « démagnétiser », les « démonétiser ». Juste en faire des choses qui nous sont utiles au quotidien. Les mettre à notre service, et cesser d’être au leur. Retrouver notre liberté vis-à-vis d’eux. Voir dans les objets simplement ce qu’ils sont. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une éducation du désir.
Bonne rentrée !