Mais d’où vient la conscience si particulière de l’homme ?
L’être humain est appelé homo sapiens sapiens, ce qui veut dire « l’homme qui sait qu’il sait ». Ou qu’il ne sait pas d’ailleurs.
Mais les expériences sur les animaux dont j’ai parlé plus haut ont conduit les spécialistes à remettre en cause cette idée que ce qui distingue l’homme des autres espèces, c’est qu’il sait qu’il sait, ou qu’il sait qu’il ne sait pas. Et même qu’il ne sait pas ce qu’il ne sait pas.
Or, nous voyons bien que notre conscience va bien au-delà de cela. Nous serions plus que des homo sapiens sapiens, car il est bien possible que des animaux aient aussi cette capacité à savoir ce qu’ils ne savent pas, l’expérience avec les dauphins l’a montré…
Alors, grande question des scientifiques, qu’est-ce qui fait que la conscience humaine est vraiment différente de celle qu’on soupçonne chez certains animaux ?
La réponse réside sans doute dans le langage que l’homme manie avec brio depuis des millénaires. Il semblerait, selon ces spécialistes, que le langage, avec ses infinies subtilités, permet à la conscience humaine d’atteindre une sophistication que la conscience non verbale des autres espèces ne peut atteindre.
Certes, les animaux peuvent accéder à des niveaux de conscience proches des nôtres. Ils peuvent avoir des souvenirs, se rappeler certaines situations, savoir qu’une chose existe, qu’elle n’est pas là, savoir qu’il ne savent pas. Mais ils ne parviendront jamais à l’imbrication de pensées dont l’homme est capable grâce au langage. Par exemple, l’homme peut dire : « Je sais qu’il me ment mais je sais aussi qu’il ne sait pas que je le sais ». Cette simple phrase est une imbrication complexe de concepts que seul le langage autorise, ou favorise.
Il semble donc que le langage, qui est propre à l’homme dans sa forme la plus évoluée — même si le langage de certains animaux peut être très évolué lui aussi — soit au fond ce qui fait que la conscience humaine est si différente de celle des animaux. Car non seulement elle nous permet de complexifier nos ressentis intérieurs, mais elle nous permet aussi de deviner les pensées des autres, fussent-elles très sophistiquées. La conscience de soi chez l’homme est aussi une conscience de l’autre. Et aucune expérience ne prouve que les animaux aient porté cette conscience-là au niveau où l’être humain la vit au quotidien.
Aujourd’hui, les scientifiques ont dépassé le stade purement mécanique de la conscience et ont su intégrer dans leurs recherches des éléments qui tiennent compte de l’expérience intime que nous avons au quotidien de notre conscience.
Nous savons aujourd’hui de quelle manière les zones distantes du cerveau communiquent entre elles pour nous servir une représentation multiple, riche, de notre environnement, et de nos recherches intérieures. Nous savons même maintenant comment des phénomènes sont perçus inconsciemment avant d’être « présentés à la conscience », non sans un certain traitement préalable.
Point de conscience à l’horizon
Mais malgré ces découvertes spectaculaires les scientifiques reconnaissent eux-mêmes qu’ils n’ont pas touché au but, loin de là. Ils s’en sont approchés comme jamais auparavant grâce aux techniques d’imagerie cérébrale. Mais des énigmes subsistent. La principale étant que non seulement, nous sommes conscients du monde extérieur et de notre monde intérieur, mais nous sommes aussi conscients que nous en sommes conscients. Selon l’expression de Stanislas Dehaene dans « Le code de la conscience » [2] « il existe très certainement, dans le cerveau humain, un système qui permet de retourner le projecteur de la conscience sur lui-même et d’analyser ses propres pensées ». Mais où se cache-t-il ?
La science du cerveau ayant fait énormément de progrès ces dernières années, et surtout, ayant dépassé le cadre purement électrique de l’activité du cerveau pour prendre en compte des fonctions plus évoluées et plus nobles, on pouvait penser que la question de la conscience était réglée, ou presque. En tout cas, on avait parfaitement analysé les mécanismes qui donnaient naissance à notre conscience, même si le doute subsistait sur l’identité de « l’instance » à qui ces informations étaient destinées. Mais on se disait qu’on était sur la bonne voie et qu’on finirait bien par le savoir…
La conscience semblait donc un phénomène globalement bien cerné par la science. D’ailleurs, les scientifiques pouvaient eux-mêmes utiliser ces connaissances pour créer des comas artificiels, bien utiles dans le traitement de certaines maladies. On pouvait même créer des pertes de connaissance, comme dans les anesthésies, pour éviter aux patients de souffrir.
Bref, avec quelques poudres de perlimpinpin on pouvait contrôler l’état de conscience d’un individu.
Tout cela était d’ailleurs perçu comme une preuve supplémentaire de la nature purement physique de la conscience, et surtout de sa liaison avec le cerveau.
D’ailleurs, chacun, je pense, a pu faire l’expérience qu’en absorbant certaines substances, du simple verre de vin à la drogue la plus dure, notre conscience se trouve altérée à des degrés divers. Nous savons aussi que certains accidents de la vie peuvent atteindre le cerveau et en endommager des zones, modifiant notre conscience et l’idée que l’on se fait de soi-même. Et bien sûr, je me dois de parler des maladies dégénératives comme Alzheimer qui altèrent tellement le fonctionnement du cerveau que l’individu finit par oublier qui il est.
Toutes ces pathologies du cerveau — et je n’en ai évoqué que quelques-unes ici — donnent fortement à penser que le sort de la conscience est scellé avec celui du cerveau. Conscience = Cerveau. Pour les tenants de l’idée que la conscience est une émanation du cerveau, les faits sont imparables. Pas de cerveau, pas de conscience.
Inutile de chercher où elle se cache ; elle est dans notre tête !
Mais prenons une image. Tous les matins, dès votre réveil, vous allumez votre station préférée, disons RTL. Ou Europe 1 si vous préférez. On Fun Radio, peu importe. Une station de radio lambda. Les plaisanteries douteuses des animateurs entre deux malheurs du monde vous mettent de bonne humeur. Et puis un beau jour — un sale jour en fait — vous laissez tomber votre radio par terre. Vous n’étiez pas bien réveillé, le sol était glissant, vos nouvelles pantoufles accrochaient moins bien au carrelage de la cuisine. Catastrophe ! La radio est en piteux état et comme dirait Bourvil : « Forcément, elle va moins bien marcher maintenant ! ». Effectivement, maintenant, elle vomit des sons à peine audibles. Est-ce que pour autant votre station préférée est morte ? Bien sûr que non. C’est juste le récepteur qui est endommagé, mais la station, elle, fonctionne toujours parfaitement.
Certaines personnes pensent que la conscience obéit à la même loi. Le cerveau serait en fait une radio qui capte la conscience, laquelle est indépendante. La radio peut certes être défectueuse, la conscience, elle, n’est pas altérée pour autant. Ceux-là dissocient la conscience du cerveau. La conscience n’est pas dans le cerveau.
L’idée n’est pas récente. Si l’on revient un peu en arrière, au début du XXe siècle, on constate le développement inattendu du mouvement spirite. Les esprits sont à la mode. On les invoque, on les fait parler. On organise de grandes soirées à frisson en s’asseyant autour de tables qui tournent ! Les esprits des morts semblent vouloir délivrer des messages aux vivants et répondre aux questions restées en suspens par leur décès : « Où as-tu caché les bijoux, on ne les retrouve plus ! ». « Vraiment tu es mon père ? ». Bref, tout ce qu’on ne s’est pas dit du vivant du défunt, on charge les tables de nous le dire en tournant.
Ce courant spirite va naturellement avancer l’idée que la conscience des individus n’est pas liée au cerveau. La mort peut bien couper le courant dans le cerveau, la conscience, elle, continue d’exister et mène une nouvelle vie. C’est un retour à l’idée que la conscience, c’est l’âme, et que l’âme survit à la mort physique. Une manière d’enfoncer le clou : le physique et le mental n’ont rien à voir. L’un meurt, l’autre pas.
Esprit es-tu là ?
Tout cela n’est pas nouveau ! On sait les trésors d’imagination et d’ingénierie que les pharaons égyptiens ont déployés pour que leur âme puisse mener une nouvelle vie après leur mort. Mais le mouvement spirite arrive à un moment où avec les travaux de Freud ou de Jung, et les recherches scientifiques très novatrices sur le cerveau, les « tempêtes sous un crâne » comme dirait Victor Hugo, passionnent… les esprits. C’est aussi l’époque où le religieux perd du terrain, l’âme se dépouille peu à peu de son caractère sacré et les fantômes se mettent à hanter les salons bourgeois de ce siècle avides d’expériences nouvelles.
Si les esprits de nos défunts peuvent ainsi se manifester, c’est que la conscience individuelle n’est pas une émanation d’un objet physique, le cerveau — qui a été mangé par les vers — mais une entité transcendantale qui vit dans un autre monde, dans une autre dimension en fait.
C’est aussi à cette époque qu’un médium, Edgar Cayce, se fait connaître en soignant des malades, alors qu’il n’a aucune connaissance médicale. Comment fait-il ? Il consulte par médiumnité les « Archives Akashiques » appelées aussi « Annales Akashiques ». Selon les théosophes, ces archives ou annales, sont des sortes d’enregistrement de tous les événements du monde, les événements mais aussi les pensées, les émotions. C’est la mémoire des âmes. Rien de scientifique n’a à ce jour attesté l’existence de ces archives. Mais elles viennent compléter un tableau de l’invisible où la conscience trouverait sa place. En fait, la conscience n’appartiendrait pas au monde physique, elle n’en serait pas l’émanation, elle appartiendrait au monde mental, invisible, et obéirait à d’autres lois, notamment à d’autres lois spatiales et surtout temporelles.
En fait l’idée d’une liaison stricte entre le cerveau et la conscience a commencé à prendre du plomb dans l’aile quand des expériences de « vie après la mort » ou NDE (Near Death Experience) ont été relatées par un nombre croissant d’individus.
Tout est parti d’un livre du psychiatre Raymond Moody « Life After Life » paru en 1975. En effet à cette époque, les techniques de réanimation de patients qui semblaient cliniquement morts se sont considérablement améliorées et les personnes ainsi « ressuscitées » pour ainsi dire, ont pu raconter ce qu’elles avaient vécu pendant leur phase d’inconscience.
Or, justement, elles n’avaient pas été inconscientes, comme leur état semblait le suggérer. Elles avaient vécu des expériences conscientes d’une autre nature que l’expérience commune. Elles racontaient souvent s’être retrouvées collées au plafond et avoir assisté à tout ce qui se passait dans leur chambre d’hôpital : le travail du personnel médical, les visites de la famille et des proches. Elles racontaient aussi avoir reçu une invitation à se diriger vers une intense lumière au fond d’un tunnel. Là, souvent, les attendaient des proches décédés qui, en général, leur disaient qu’il n’était pas encore l’heure de mourir et les incitaient à retourner dans leur chambre.
Le livre du Dr Moody a fait sensation car il semblait accréditer le principe d’une survie de l’âme à la mort physique. Il a été très critiqué, naturellement, l’argument principal étant que ces personnes « réanimées » par principe, n’étaient pas mortes. Pas totalement. On pouvait donc attribuer leurs récits aux nombreuses substances chimiques qui leur étaient administrées et non à leur mort. On imaginait que dans ces moments de mort imminente le cerveau produisait des substances apaisantes pour faciliter le passage, substances qui pouvaient générer les images et les sensations racontées par les « réanimés ».
Mais les récits se sont multipliées et les langues se sont déliées. Des expériences ont même été entreprises pour valider les informations données par les personnes inconscientes. Certaines pouvaient décrire précisément le personnel médical s’étant rendu à leur chevet, ou le déplacement de certains objets. Et il a bien fallu se rendre à l’évidence qu’elles disaient vrai. Collée au plafond, leur conscience avait bien enregistré des faits, faits dont elles n’auraient pas eu connaissance depuis leur lit.
Les récits concernant les tunnels avec de la lumière au bout n’ont pas pu faire l’objet d’expérience et donc il a été difficile pour les scientifiques de leur apporter un certain crédit.
En revanche, les témoignages des « visions » des patients inconscients dans leur chambre ont troublé les esprits, même des plus sceptiques. Impossible d’expliquer tous ces phénomènes par la seule production d’hormones.
D’autant qu’il n’y a pas que les personnes dans le coma qui vivent ce genre d’expérience. Il s’agit en fait d’un phénomène assez fréquent qu’on appelle une « sortie astrale ». De nombreuses personnes, en très bonne santé, en-dehors de tout accident ou maladie, en ont expérimenté une, sans le chercher, parfois dans des endroits insolites.
Et là encore, les langues se sont déliées, notamment après la parution du premier livre de Daniel Meurois-Givaudon en 1980 « Récits d’un voyageur de l’astral » suivi en 1983 de « Terre d’Émeraude ». Ecrits avec Anne Meurois, ces livres décrivent des « décorporations » que les deux époux ont vécues à partir de 1971. Ils racontent avoir notamment visité les fameuses Annales akashiques dont j’ai parlé plus haut à propos d’Edgar Cayce.
Leurs ouvrages ont suscité beaucoup de critiques et de scepticisme, naturellement. Mais ils m’ont personnellement beaucoup impressionné… et inspiré.
Comme je l’ai raconté dans mon récit « Ces vies dont nous sommes faits », je me suis livré de 1987 à 1990 à des expériences de méditation qui m’ont permis de voyager dans le temps et dans l’espace par l’esprit. Mais au fil de ces exercices assez intenses, j’ai bien senti que « quelque chose » cherchait à sortir de mon crâne. Je sentais une poussée à l’arrière de ma tête et il fallait que je me contrôle pour faire cesser le phénomène, terrifié à l’idée que si je quittais mon corps, une « âme errante » viendrait s’y installer !
Mais j’ai alors acquis la certitude que mon « âme » voulait quitter mon corps, que mes exercices de méditation avait un peu distendu le lien qui unissait solidement l’une et l’autre. Ils n’étaient plus aussi solidaires…
Voici ce que je raconte dans mon récit :
« Cent fois, au cours de précédentes méditations, j’avais failli sortir de mon corps, mais au dernier moment, pétrifié de peur, j’avais renoncé et interrompu le processus qui s’était mis spontanément en route sans que je le veuille. Il me fallait vaincre cette peur. Je savais que, si l’on surmonte sa peur, s’ouvrent de magnifiques perspectives. Je devais trouver à visualiser cette idée : la plus grande joie est cachée derrière la plus grande peur.
Je me suis souvenu alors de l’histoire d’une des pionnières de l’aviation, Adrienne Bolland. Elle fut la première aviatrice à découvrir une passe à travers la cordillère des Andes pour relier l’Argentine au Chili. Aucun avion de l’époque ne volait assez haut pour passer au-dessus de la montagne. Il fallait donc trouver une voie de passage. Des aviateurs s’y étaient essayés avant elle. Ils avaient lancé leur avion dans une passe qui paraissait prometteuse. Hélas, ils avaient tous péri.
La veille de sa tentative, une vieille femme est venue voir Adrienne Bolland à son hôtel et lui a décrit le chemin qu’elle devait emprunter. D’abord, on aperçoit un lac en forme d’huître, puis il y a une paroi qui se dresse face à soi, abrupte, mais il faut voler vers elle, car, au dernier moment, sur la droite, il y a un passage qui mène vers le Chili.
Avec beaucoup de courage, Adrienne Bolland suit le conseil de la vieille femme. Elle repère le lac en forme d’huître, elle voit la paroi abrupte et lance son avion dessus. Elle doit naturellement vaincre la plus grande peur de sa vie. Elle va s’écraser sur cette paroi et connaître le même destin fatal que les autres aviateurs. Mais comme lui a dit la vieille femme, au dernier moment, l’aviatrice aperçoit sur sa droite un passage et réussit à gagner le Chili. Une route est ainsi ouverte grâce à elle.
Pendant des semaines, je m’astreins à répéter cette scène mentalement pour visualiser la paroi abrupte, ma très grande peur, la mort qui vient et puis finalement, l’ouverture de la voie.
Ainsi, je finis par dominer ma peur. Étant parvenu à relier l’Argentine au Chili par l’esprit, une sortie astrale ne devrait plus m’effrayer ! Un matin, je crois être sur le point de réussir. Je suis prêt moralement à tenter une sortie. Mais rien ne se produit. Je suis trop tendu. Je me demande vraiment ce que je vais découvrir pendant ce voyage, qui je vais rencontrer, où je vais aller. La curiosité est très forte, et je sens que je dois franchir ce cap. Découvrir par moi-même, directement, ce qui se passe derrière le rideau et ce qui me guide depuis le début de cette aventure il y a près de deux ans. J’ai franchi peu à peu toutes les étapes, les voyants, les régressions, la médiumnité, les fantômes, les « voix » intérieures. Il faut maintenant que je dissocie ma conscience de mon corps et que j’aille y voir de plus près. C’est inévitable. Sinon tout ce chemin n’aura servi à rien. J’ai certes vécu des émotions très intenses, mais pratiquement sans quitter ma baignoire. Je dois faire le grand saut et aller visiter moi-même d’au-delà. Et pourquoi pas aller consulter les Annales Akashiques chères au médium Edgar Cayce, et qui contiennent tout l’expérience humaine...? Mais j’ai trop peur.
Je décide donc de renoncer. Je sors de mon bain, passe un peignoir et vais m’allonger sur mon lit pour m’endormir. Et il suffit de cette détente soudaine pour que le phénomène se produise ! Je sens mon esprit quitter ma tête par la base du crâne et tout de suite, je me retrouve coincé sous le plafond de ma chambre plongée dans l’obscurité. Je me dis : « Surtout, n’aie pas peur ! N’aie pas peur ! Tout va bien se passer ! » Comment un phénomène pareil est-il possible ? À ce moment précis ma première idée est de regretter que des scientifiques n’étudient pas de près ce genre d’expérience ; en général, ils se contentent d’analyser les témoignages de personnes qui ont vécu des sorties astrales. Comment la conscience peut-elle ainsi se détacher du corps et aller se coller au plafond ? Sans convaincre les témoins, ils expliquent le phénomène par un dédoublement de personnalité proche de la schizophrénie. Or, l’expérience, avec un peu d’entraînement, est parfaitement reproductible. Pourquoi, dès lors, des scientifiques ne tentent-ils pas eux-mêmes une sortie ? Ils en concluraient sans doute que la conscience n’est pas un phénomène physique localisé dans le cerveau, et cela remettrait en question beaucoup de certitudes.
C’est une chose de lire ce type d’expérience dans un livre, c’en est une autre de la vivre ! Mon « point de conscience » est bien sous le plafond, dans le coin de la chambre, et non pas en bas dans mon corps, ce corps qui est allongé sur mon lit et que je ne vois pas très bien. Il était comme masqué par du noir. Irina m’expliquera plus tard qu’on l’a « masqué » pour que sa vision ne me panique pas. Mais je vois très bien mon lit, ma table de chevet, les murs de ma chambre, la fenêtre. Tout. Rien à voir avec un rêve. Rien à voir avec une rêverie éveillée. Ma conscience est bien sortie du corps et est allée se loger au plafond. Elle est alerte, pas du tout endormie ! Au contraire même, mes sens sont en éveil, comme jamais sans doute ils ne l’ont été. Curieusement, je me sens respirer aux deux endroits : dans le lit et au plafond.
Très vite, je m’habitue à ce nouvel état. Pas d’autres âmes à l’horizon. Je suis seul dans ma chambre. Enfin, seul avec moi-même, allongé en bas. Je prends un peu d’assurance. Je me dis que je ne vais pas rester comme un ballot collé au plafond. Je n’ai qu’à émettre le désir d’aller dehors pour qu’aussitôt je traverse ma fenêtre et mes volets fermés et que je me retrouve à quelques dizaines de mètres au-dessus du bitume de ma rue. Curieusement, il fait nuit dehors, alors que le jour était levé depuis longtemps quand j’ai regagné ma chambre après l’échec de ma tentative dans la baignoire. Ai-je remonté le temps ?
Je me mets à danser au-dessus de la rue, comme un fou, pendant que les voitures passent en dessous de moi. Puis, courageux, mais pas téméraire, je demande à regagner ma chambre. J’en ai assez vu pour une première sortie astrale. C’est totalement terrifiant. Terrifiant de naturel, de simplicité. Il y a toute cette vie, là, à portée de l’esprit, cette vie qu’on ignore.
Je rentre dans ma chambre en passant comme si de rien n’était à travers les volets et la vitre de la fenêtre et je m’apprête à regagner mon corps, qui est encore allongé sur le lit. Je me tiens debout et je commets l’erreur de regarder mes pieds. Car j’avais des pieds ! Les miens sont censés être dans le lit avec mon corps. Ces pieds-là sont en quelque sorte une réplique immatérielle, ou du moins à peine matérielle. Ils flottent un peu au-dessus du parquet, s’enfoncent dans les lattes, remontent. Curieusement, cette vision de mes pieds me terrifie complètement. Cela a pour effet de me ramener rapidement dans mon corps. Je me souviendrai toujours de la sensation à ce moment-là. J’étais allongé en chien de fusil et mon âme reprend exactement la même position pour venir coïncider avec le corps physique. Et une fois que les deux se sont épousés parfaitement, je me « réveille » ou plutôt, comme je n’étais pas endormi, je reviens à une conscience « classique », dirai-je.
L’expérience me laisse pantois. Quand je regarde mon réveil, mon désarroi augmente encore d’un cran. Alors que l’expérience m’a semblé durer quelques secondes à peine, deux heures se sont écoulées entre ma sortie du corps et mon retour dans la chambre. Qu’ai-je donc fait pendant ces deux heures ?
Pour Irina, à qui je raconte mon aventure quelques jours plus tard, pendant ces deux heures, mon âme est allée régler quelques affaires puis, jugeant sans doute que cela ne me regardait pas, ou que j’allais encore trembler comme une fillette, elle en a effacé le souvenir en moi ! »
Cette expérience est la plus déroutante de ma vie. Elle va d’ailleurs mettre un point final à mes expériences spirituelles extrêmes. J’ai vraiment eu trop peur ! Mais j’ai compris ce jour-là que la conscience n’était pas dans le cerveau. Pas que dans le cerveau. Elle navigue dans un vaste espace invisible mais l’incarnation fait qu’elle se connecte naturellement à un organe du corps humain, le cerveau, qu’elle modèle sans doute autant qu’il la modèle.
Ces témoignages de décorporations sont si nombreux que les scientifiques ont bien été obligés de se pencher dessus. Ils ont en général conclu à un phénomène électrique. En insistant sur la zone médiane entre les lobes temporal et pariétal, le gyrus angulaire droit, ils ont pu provoquer une sensation de sortie du corps sur une patiente éveillée atteinte d’épilepsie. Certes, mais d’autres expériences, notamment de personnes inconsciences, ont montré que l’origine électrique du phénomène n’expliquait sans doute pas tous les cas. C’est sans doute prendre la conséquence pour la cause.
Je me dis souvent qu’avant de lancer des explications de cette sorte, les chercheurs seraient bien inspirés de réaliser eux-mêmes une sortie du corps, comme j’en ai moi-même réalisé une volontairement après quelques mois d’entraînement. Ils constateraient alors d’eux-mêmes que l’expérience est tout à fait hors norme et soulève bien des interrogations.
Pour l’instant, le vaste champ de ce qu’on nomme les « états modifiés de conscience » reste à explorer scientifiquement.
En tout cas, pour moi, il est clair aujourd’hui que la conscience n’est pas dans notre cerveau, même si c’est grâce à lui qu’elle peut donner d’elle-même son expression la plus sophistiquée.
Et en plus la physique quantique n’arrange rien !
La physique quantique a mis en évidence un phénomène qui a longtemps défié la logique des scientifiques, même des plus éminents, comme Albert Einstein. Sans entrer dans le détail de ce phénomène, la physique quantique, c’est-à-dire la physique de l’infiniment petit, pose que les éléments de la matière sont dans un état indéterminé (position, vitesse, polarité) tant qu’un observateur ne les a pas analysés. Pour simplifier, l’état de la matière dépend du regard que l’observateur pose sur elle.
Ce phénomène a été mis en lumière à la suite d’expérience sur la nature de la lumière : était-ce une onde ou un flux de particules ? Or, si la lumière est une onde, elle ne peut être un flux de particules. Et inversement. Les deux états sont incompatibles. Et pourtant, certains scientifiques menaient des expériences qui montraient que la lumière était une onde, et d’autres aboutissaient à la conclusion que la lumière était constituée de particules. Comment résoudre cette contradiction ? En fait, la conclusion a été que la lumière a une nature double et qu’elle se montre sous un jour ou sous un autre (si j’ose dire) selon l’observateur !
L’importance de l’observation dans le domaine de la mécanique quantique a été poussée très loin avec la théorie de l’incertitude qu’Hessenberg a décrit en 1927, théorie selon laquelle l’observateur influe sur la réalité qu’il est en train de regarder. L’idée a eu du mal à s’imposer au début, notamment auprès d’Albert Einstein, qui avait pourtant découvert les fondements de la mécanique quantique, mais qui n’arrivait pas à admettre certains de ses aspects. Il avait ainsi prononcé cette fameuse phrase : « J’aime à croire que la Lune est toujours là, même si je ne suis pas en train de la regarder ».
Naturellement, les scientifiques sont incapables de nous expliquer de quelle manière la conscience de l’observateur peut modifier la réalité, influer sur l’état de la matière. Quels signaux la conscience envoie-t-elle aux particules pour pousser celles-ci à adopter un comportement ou un autre (et selon quels critères ?!). En tout cas, cela suppose une interaction à distance. Donc, en-dehors du jeu des neurones.
Mais alors où est la conscience ?
Il est peu probable que la conscience ne soit que le fruit de l’activité du cerveau. On peut supposer qu’il en est le reflet, le bras armé, l’outil de contact avec le réel. Pour les scientifiques qui veulent bien résoudre cette énigme, le chemin est sans doute encore long. Car on voit bien qu’il y a un abîme entre l’activité neurale qu’ils analysent en profondeur, avec des découvertes époustouflantes — il faut le reconnaître et le saluer — et la conscience que nous avons… de notre propre conscience. Il n’y a pas encore de pont. Et sans doute n’y en aura-t-il jamais ! Il est assez décourageant de constater qu’un phénomène tellement évident pour nous joue à cache-cache avec notre raison. Mais après tout, la réalité matérielle aussi joue à cache-cache avec nous. Il y a un gouffre entre ce que la physique quantique nous dit de la nature profonde de la matière et ce que nous en percevons au quotidien.
À mon avis, le mystère de la conscience sera percé non pas par l’étude du cerveau, mais à un niveau beaucoup plus profond, justement à ce niveau quantique, là où la frontière entre le matériel et l’immatériel semble se dissiper, là où le temps et l’espace sont abolis, là où les particules circulent aussi vite que l’information, et plus vite que la lumière elle-même. Seule l’étrangeté du monde subatomique semble à la hauteur pour résoudre l’énigme de la conscience. Celle-ci n’est au fond qu’un flux d’information. Or la mécanique quantique montre cette liaison entre le matériel (les particules) et l’immatériel (les informations qu’elles s’échangent en permanence, quel que soit leur éloignement). C’est dans cette dimension de la matière que la distinction entre physique et mental semble abolie. Pas plus que les particules qui constituent les neurones de notre cerveau ne restent en place au niveau quantique, notre conscience n’est attachée à la cervelle.
Nous baignons dans une conscience globale dont nous sommes chacun une manifestation, comme nous baignons dans une « soupe » de particules qui vivent hors du temps et de l’espace, dans une dimension où le matériel et l’immatériel se confondent. De ces « soupes » quantiques émergent aussi bien nos neurones que notre conscience… selon un mécanisme complexe que nous ne comprenons pas encore vraiment mais qui pour moi est à la base à la fois de la matière et de l’esprit, et cela, depuis l’origine de l’univers. C’est à mon avis dans le monde étrange des quanta que se cache la conscience. Et, visiblement, elle n’est pas très perturbée par les défis qu’elle lance à notre esprit ! [3].