Je suis toujours fasciné par ce moment de notre histoire très ancienne où notre ancêtre se sépare des singes et devient un humain. Ainsi, l’une des grandes différences entre les singes et nous, c’est notre bipédie. Nos cousins à poils, certes, peuvent marcher sur deux jambes, mais la plupart du temps, ils se déplacent à quatre pattes.
De fait, nous sommes sur terre considérés comme « le bipède de l’année »... depuis quelques millions d’années ! Nous sommes en effet les seuls êtres vivants à nous tenir debout sur nos deux jambes, avec une belle allure et une décontraction totale. L’autre espèce - la seule - qui pourrait nous contester ce titre est le pingouin. D’ailleurs, il nous suffit de mettre un smoking pour voir à quel point nous sommes proches de cet animal par notre aplomb sur deux pattes.
Nous ne sommes pas les seuls êtres vivants bipèdes, mais les autres, comme les autruches, n’ont pas la même structure morphologique, c’est-à-dire tout le corps à la verticale sous la tête.
Quand et pourquoi sommes-nous devenus bipèdes ?
Les scientifiques ne le savent pas vraiment. L’hypothèse la plus répandue est que notre ancêtre dans le grand rift africain a quitté les arbres qui se raréfiaient et pour traverser la savane a trouvé que la station debout était plus pratique. En fait, la bipédie présente aussi des inconvénients, on ne peut donc certifier qu’elle a donné aux individus qui l’avaient adoptée un « avantage » qui se serait ensuite transmis par l’hérédité. Ce n’est donc qu’une hypothèse. La bipédie n’est pas incompatible avec la vie dans les arbres. Elle a pu naître d’ailleurs dans les branches et se renforcer quand l’homme est allé dans la savane.
Donc, on ne sait pas exactement. Une hypothèse est que les premiers hommes qui se sont redressés ont montré leur zizi aux filles, qui ont aimé et se sont accouplées plutôt avec ceux-là. C’est un peu tiré par les c... cheveux, mais c’est une hypothèse sérieuse. Il ne faut pas oublier que si l’évolution, selon la célèbre formule du biologiste Jacques Monod, est le fruit du hasard et de la nécessité, c’est quand même largement aussi (sinon avant tout) le fruit des préférences des femmes, lesquelles, c’est bien connu, sont maîtres dans le maniement du « j’aime/j’aime pas » [1].
Il faudrait découvrir des fossiles très anciens (entre 10 et 5 millions d’années) pour comprendre l’origine de cette évolution clé de notre lignée, mais ce n’est malheureusement pas encore le cas.
Un trou qui en dit long
Car on ne devient pas bipède du jour au lendemain. Tout est lié au trou occipital. C’est par ce trou que passe tout le câblage qui relie le cerveau au reste du corps. C’est là que la colonne vertébrale s’attache au crâne. Le bipède a tout son corps sous sa tête. Le trou occipital est donc situé à la base du crâne. En revanche, chez les mammifères quadrupèdes, le trou occipital est à l’arrière du crâne, ce qui aligne la colonne vertébrale à l’horizontale.
La question est donc de savoir si l’homme s’est redressé entraînant petit à petit un déplacement du trou occipital vers la base du crâne ou s’il s’est redressé parce que ledit trou se déplaçait.
En effet, des scientifiques ont montré que la « migration » du trou occipital de l’arrière vers la base du crâne est une évolution spontanée du fœtus, qui n’est pas nécessairement liée à une nécessité vitale d’adaptation.
Autrement dit, l’homme est peut-être devenu bipède à l’insu de son plein gré, sans mobile apparent. Mais visiblement, cela a plu aux filles...
Courir change tout
Mais à partir de là, tout a changé pour l’homme. Pour échapper aux prédateurs ou pour chasser de nouvelles proies, il s’est en effet mis à courir. La course est devenue pour lui un enjeu vital (et un plaisir ?) et il n’a eu de cesse de perfectionner cette aptitude assez spécifique. La course à pied a modelé sa morphologie et il est devenu l’homme moderne que nous connaissons. Sans elle, notre physique serait encore très proche de celui des singes.
Question vitesse, les champions toutes catégories sont naturellement les félins, et notamment le guépard, le roi de la course. Voici les performances relatives des animaux (en km/h) [2] :
Animal | Vitesse maximale | Vitesse moyenne |
---|---|---|
Guépard | 120 sur 100 m | 94 sur 500 m |
Gazelle Springbok | 115 sur 400 m | 88 sur 2000 m |
Chevreuil | 105 | 78 |
Cerf et Biche | 105 | 78 |
Autruche d’Afrique | 100 | 73 |
Gazelle Dorcas | 95 | 68 |
Gnou | 90 | 64 |
Cheval de course | 88 sur 400 m | 62 sur 2000 m |
Zèbre | 85 sur 400 m | 58 sur 2 km |
Lion | 85 sur 20 m | 58 sur 100 m |
Panthère | 85 | 58 |
Tigre | 85 | 58 |
Lièvre | 85 | 58 |
Mouflon d’Europe | 85 | 58 |
Girafe | 85 | 58 |
Bison | 75 | 48 |
Chacal | 75 | 48 |
Loup d’Europe | 75 | 48 |
Sanglier | 75 | 48 |
Rhinocéros Noir | 75 | 48 |
Jaguar | 65 | 40 |
Lapin de garenne | 65 | 38 |
Chien Dingo | 65 | 38 |
Athlète humain (Usain Bolt) | 44,72 sur 20 m | 37,58 sur 100 m |
Lézard, Gélinotte | 40 | 32 |
Mouton | 40 | 24 |
Éléphant | 40 | 24 |
Chameau | 40 | 24 |
Serpent Mamba Noir | 40 | 23 |
Cochon | 30 | 18 |
Poulet | 25 | 15 |
Crocodile | 20 | 13 |
Crabe | 20 | 12 |
Tortue | 0.370 | |
Escargot | 0.050 |
On le voit, notre champion, Usain Bolt, n’est pas le plus véloce de la création, même si nous en avons fait un dieu du stade. L’autruche court plus vite !
Voyez ce document étonnant de National Geographic qui compare la course d’Usain Bolt à celle d’un guépard :
Comment expliquer la performance du guépard ?
Le guépard a de petites pattes. Toute la puissance vient des muscles qui entourent sa colonne vertébrale. Ce sont eux qui, en se contractant, propulsent l’animal. C’est le même principe pour les autres mammifères à quatre pattes, comme le cheval ou le chien.
La puissance nécessaire à la course chez l’homme vient de ses cuisses. Il se propulse en l’air en frappant sa jambe sur le sol. Toute la performance d’un coureur est donc grandement liée à la puissance de ses jambes, mais aussi aux caractéristiques techniques de ses chaussures et de la piste, qui doivent favoriser le rebond de l’athlète.
Voici, au ralenti, la course d’Asafa Powel [3]. On peut ainsi décomposer le mouvement du coureur et on découvre qu’il reste très longtemps en suspension :
Le rêve des premiers hommes : courir nu comme un ver !
Au cours de son évolution, l’homme a donc exploité la bipédie pour développer la course à pied. Cet usage a dû être intensif car son physique a évolué en fonction de cette activité.
La première conséquence est que l’homme a perdu ses poils. Son pelage était un frein à la course. On court plus vite nu qu’en vison ! Et surtout plus longtemps ! Les animaux à fourrure courent plus vite que l’homme, certes, mais ils s’épuisent aussi plus vite, l’homme n’a plus qu’à leur courir après et à attendre qu’ils s’effondrent. C’est sa technique pour chasser ; on l’appelle la course à l’épuisement.
On sait que les poils permettent à un très grand nombre d’animaux à sang chaud, comme les mammifères, de maintenir leur température interne. Ils protègent du froid, mais aussi de la chaleur. L’homme, au cours de son évolution, a considéré que les poils le handicapaient pour courir, il s’en est donc débarrassé (sur quelques millions d’années...) et a préféré, pour se maintenir au chaud par grand froid, porter des vêtements et allumer du feu. Malgré tout, il a gardé quelques poils ici ou là : sur la tête, sous les aisselles, dans les parties génitales. Il a aussi gardé des cils et des sourcils, qui servent à protéger les yeux. Quelques poils au nez et aux oreilles semblent là pour prévenir d’éventuelles visites de petits insectes. Les cheveux protègent des rayons du soleil. Quant à la barbe et aux poils des aisselles ou des parties génitales, on ne sait pas bien pourquoi il les a gardés. Mystère.
Tout ce qu’on sait c’est qu’il y a 1,2 millions d’années, l’homme qui, auparavant, avait sous son pelage une jolie peau de poulet tout rose (comme les singes), a vu apparaître une peau noire pour se protéger du soleil. On n’a pas de restes de la peau de nos ancêtres fossiles, évidemment, mais on a pu le savoir par l’ADN des os retrouvés. La peau noire est due à la sécrétion de mélanine (c’est elle qui nous fait bronzer l’été). Donc, nous avons d’abord été tous roses, puis tous noirs, et nous sommes devenus blancs, ou basanés, selon la quantité de soleil de la région où nous avons migré.
Mais la couleur de la peau ne suffit pas pour se protéger de la chaleur. C’est pour cela que notre ancêtre a inventé le truc que les filles adorent : la transpiration ! Il y a ainsi environ 3 millions de glandes sudoripares « eccrines » sur toute la surface du corps qui, en cas de température extérieure élevée ou d’effort intense, se mettent à sécréter un liquide incolore et inodore [4] pour rafraîchir la peau. Il existe d’autres glandes sudoripares, dites « apocrines », sous les aisselles, au niveau de l’anus, de l’organe génital et des mamelons, qui produisent de la sueur mais aussi les fameux phéromones, ces odeurs très « sexuelles » qui font tourner la tête aux filles (bien qu’elles ne soient pas très bien situées, ces glandes) [5].
Je sue donc je suis
Ainsi débarrassé de ses poils et doté d’une climatisation perfectionnée, l’homme s’est mis à courir nu comme un ver et est devenu chasseur. À l’époque, ne l’oublions pas, il était grand, à peu près 1 m 80 en moyenne, selon de récentes découvertes. C’est l’agriculture qui l’a fait rapetisser par la suite. Nos adolescents actuels ne font que retrouver la taille de nos athlètes chasseurs. On peut donc imaginer - pourquoi pas ? - que l’homme courait plus vite dans ce lointain passé qu’Usain Bolt aujourd’hui (pardon, Usain).
En tout cas, il devait courir très vite et très souvent, car pendant ces milliers d’années d’évolution, il a pris des fesses ! En effet, les singes, qui ne courent pas, n’ont pas de fesses. Ou presque pas. Elles leur servent juste pour s’asseoir. D’ailleurs, elles ont des callosités adaptées à cet usage. De bons fessiers, en revanche, sont indispensables pour courir. En effet, lorsque l’on court, le buste se penche en avant. Pour éviter que le corps ne bascule, il faut donc un muscle puissant qui le ramène en arrière. C’est ainsi que notre athlète de la vidéo ci-dessus, Asafa Powel, grâce à ses puissants muscles fessiers, court le buste bien droit ! Certains animaux utilisent leur queue pour contrebalancer la bascule du buste, mais l’homme n’ayant pas de queue, il a tout misé sur les fesses [6].
Autrement dit, notre silhouette actuelle est la conséquence de l’aptitude à la course à pied que nos ancêtres ont développée durant des milliers d’années. Notre peau nue, notre transpiration, la forme de nos pieds, le développement de nos fessiers — toutes ces caractéristiques qui distinguent l’homme des autres animaux sont celles d’un coureur à pied. C’est pourquoi je me suis hasardé à dire que courir était le propre de l’homme. Car il est physiquement adapté à la course. Il le sent si bien, au plus profond de lui-même, que même s’il passe maintenant beaucoup de temps assis, devant un écran ou au volant de sa voiture, il ne peut s’empêcher de courir dès qu’il a un moment de libre. Il entretient ainsi un « potentiel » qui doit lui paraître indispensable à la perpétuation de l’espèce, comme autrefois.
Pour ce que courir est le propre de l’homme
Je comprends mieux maintenant le goût immodéré de l’homme pour la vitesse, pourquoi il a inventé tant de merveilleux objets pour aller plus vite, encore plus vite, toujours plus vite : voitures, motos, avions, etc. Peut-être est-ce un moyen pour lui de se remémorer ce lointain passé où courir a assuré sa survie ?
Et voilà aussi pourquoi - désolé Mesdames - l’homme est profondément un coureur.